Terre de rencontre entre l’Orient et l’Occident, et ceci depuis la plus haute
Antiquité, pays de traditions et de cultures ancestrales , l’Arménie offre une
musique d’une grande beauté et d’une couleur spécifique qui la distingue de
ses voisins iraniens, turcs, azéris ou géorgiens.
Cette musique, dont les origines remontent aux premiers siècles de notre ère,
porte les traces d’une histoire mouvementée et souvent douloureuse, fortement
liée à la religion chrétienne.
Dans
le devisement du monde, Marco Polo rapporte en effet la légende selon
laquelle l'arche de Noé se serait posée sur le mont Ararat, situé juste
à côté de la frontière arméno-turque.
Unique rempart devant les nombreux envahisseurs qui imposèrent leur loi au cours
des siècles, cette foi chrétienne a coloré la musique arménienne d'une
forte imprégnation religieuse.
La musique arménienne s'exprime à travers plusieurs registres qui portent tous la marque de l’âme arménienne, où la mélancolie affleure à chaque instant, au coeur même de la joie.
Des origines lointainesAu IXe siècle avant notre ère, c'est par la fusion des différentes
races des Hassayas, des Ourartou et des Armens sur la terre de Naïri que l'Arménie
naquit. Un état se constitua qui devint rapidement puissant. L'Arménie à cette
époque déjà, se distinguait par un niveau de culture très élevé : l'élevage,
l'agriculture, l'astronomie témoignent de ce degré de civilisation avancée...
La musique tenait une large part dans la vie culturelle et sociale du peuple.
Les chansons reflétaient les différents aspects de la vie quotidienne, notamment
le travail agricole. Les chants les plus connus sont les "Horovels", chants
de labour, et les pastourelles.
D'autres genres se développèrent et vinrent s'ajouter aux premiers. Devenue
religieuse, militaire et profane, la musique présidait à tous les événements
de la vie publique et privée : mariages, funérailles, cérémonies, montée au
combat, chants épiques et historiques,défilés triomphaux, fêtes nationales,
jeux, banquets et divertissements.
Sous le règne de Tigrane II le Grand (95-55 av.JC), la civilisation arménienne
atteint son apogée. Situé sur la route de la soie, à cheval entre le'orient
et l'occident, le commerce contribua largement à l'épanouissement culturel du
pays. Sous l'influence byzantine, des progrès remarquables furent enregistrés
en architecture, en sculpture, en théâtre et en musique.
C'est à partir du IVeme siècle que le Christianisme s'implante
en Arménie. La nouvele liturgie chrétienne se nourrit des chants religieux ou
profanes qui accompagnaient les rites païens.
Parallèlement à cette "récupération" de l'héritage culturel païen, le travail
des moines savants accouche de nombreuses compositions musicales. De nombreuses
oeuvres religieuses voient le jour durant cette période, la plus florissante
du chant chrétien d'Arménie. A l'origine ce sont des psaumes, puis des "charagan",
sorte de cantilènes (nom donné au moyen-âge aux chants profanes ou complaintes
lyriques) toujours chantés par une seule voix (à l'origine un recueil de Paolo
de Taroa s'intitule Charagan qui signifie collier de gemmes). Ces chants religieux
étaient interprétés soit par un soliste (monodie), soit par un choeurs à l'unisson
souvent complétés par une basse (bourdon). On y voit une identité de style avec
la musique instrumentale, notamment jouée au Doudouk.
Avec le développement du théâtre apparaît un personnage caractéristique
de la vie musicale arménienne : le goussan, équivalent de nos bardes gaulois.
A l'origine, le goussan était lié aux cérémonies religieuses païennes, et en
particulier à la résurrection des dieux auxquels on rattache des légendes comme
celle d'Ara le bel, de Mourané, mère des Arméniens et de son fils Guissané,
duquel dérive le mot goussan. A partir du XVII ème siècle, les Goussans sont
appelés Ashoughs, de l'arabe ashik qui signifie amoureux.
Il y a plus de 2000 ans, ces musiciens-chanteurs créerent leur propre école. Leur art s'imposa comme l'élément premier du futur théâtre professionnel arménien.
Plus que tout autre musicien, ils s'intégraient dans la vie de tout les jours, déclinant leur talent au fil des chants funèbres, religieux, guerriers, épiques, lyriques ou pastoraux et leurs danses aux fêtes religieuses et profanes sur les places publiques, devant les lemples et dans les palais.
Les principales mélodies de ces trouvères et troubadours reflètent l'amour romantique et chevaleresque ou renferment un sens politique, historique ou moral. La musique des goussans constitue une branche professionnelle spéciale de la musique populaire. Le représentant le plus éminent des goussans est sans conteste Sayat Nova au XVIIIème siècle.
Les achoughs
Les Achoughs, dont l'art s'est développé à partir du XVII ème siècle, sont les successeurs des bardes Goussans. Insérés dans la tradition populaire, les Achoughs composent des chants relatant les hauts faits historiques, vantant les mérites de grandes figures mythiques. Mais leur sujet principal est le plus souvent l'amour. L'espoir, l'attente de la bien aimée, la déception, le désir, la joie amoureuse sont leurs thèmes favoris.
L'essentiel de l'art des Achoughs réside dans la qualité du poème chanté dont l'allure naïve renforce le pouvoir expressif. Les poèmes proprement dit et la musique sont souvent improvisés simultanément. A la fin de chaque couplet, l'achough mentionne en général son nom afin que l'auditeur se souvienne de lui à propos de la pensée philosophique qu'il exprime.
Il arrivait jadis que de véritables joutes soient organisées, à l'issue desquelles l'achoug perdant abandonnait son instrument au pied du partenaire et s'en allait. Le répertoire et l'art des Achoughs se transmettaient oralement selon la tradition. Depuis la fin du XIX ème siècle, certains compositeurs ont transcrit et harmonisé des chants d'Achough. Les contours mélodiques d'essence populaire, inspirés des chants paysans du Moyen Age, portent toujours la marque spécifique du musicien-improvisateur.
Les Antouns
La gravité des époques de l'histoire arménienne donna naissance aux ballades narratives, aux chants plaintifs, satiriques et surtout aux "antouns", les "Sans foyer". Ils traduisent la peine, la nostalgie des travailleurs arméniens partis depuis le haut moyen âge vers des pays étrangers. Certains Antouns se présentent sous la forme d'un long monologue dramatique. Ces chants d'émigrés sont des exemples musicaux d'une rare beauté et d'une grande richesse, tel "Gantché Grounk" (chante cigogne), qui dépeint les sentiments nostalgiques de l'individu privé de son foyer et de son pays. Dans les créations musicales du peuple, la cigogne solitaire, loin de son pays, séparée de la bande, est la figure la plus répandue.
Le tournant du XIXème siècle
Le XIXème siècle marque pour l'Arménie un tournant important
de son histoire. Jusque là intégrée dans l'empire Ottoman, dont le pouvoir est
fondé sur l'Islam, les populations chrétiennes d'Arménie constituent un monde
d'esclaves au service des fidèles à Allah.
Aussi, lorsque la partie orientale du pays est annexée par la Russie en 1828,
suite au conflit entre le Tsar et le Sultan, l'occupant russe est accueilli
comme un sauveur. Une nouvelle vie économique, politique et culturelle fait
alors son apparition, dans laquelle la Russie va jouer un rôle important.
Dans la musique savante, C'est l'avènement de la musique d'ensemble instrumentale, de l'opéra. Le piano, le violon, la romance font leur apparition dans les milieux cultivés, et, dans la deuxième moitié du siècle, avec le réveil national, la musique s'oriente sur les bases traditionnelles du folklore national en assimilant simultanément l'achèvement de la musique classique occidentale et russe.
Les bases de la musique classique arménienne sont lancées durant la deuxième moitié du XIXème siècle par Tigrane Tchoukhadjian. Le compositeur Kara-Mourza harmonise quant à lui la musique populaire sur les principes polyphoniques occidentaux. De nombreux musiciens partent étudier la musique dans les conservatoires russes, comme à Saint Petersbourg où Ekmalian se retrouve aux côtés de Rimski-Korsakof.
A la fin du siècle, Alexandre Spendarian se consacre à relever les fondements de la musique classique nationale. Il sera épaulé par des compositeurs tels que Armen Tigranian, Aram Katchatourian ou encore Somoghon Soghomonian (plus connu sous le nom du Révérend Père Komitas), équivalent arménien de Bartok, qui consacrera onze années à parcourir le pays pour noter la musique et les chants traditionnels arméniens, les épurant ensuite de toute influence étrangère afin de mettre en valeur les traits nationaux les plus caractéristiques.
Aujourd'hui, cet héritage se retrouve dans une musique tout en subtilité, en profondeur et en intensité, qui se révèle comme une des plus belles expressions de cet Orient musical auquel elle participe pleinement.